Tribune de Grégory Merly, en charge du milieu naturel. Quel est notre diagnostic de la situation agricole en France ?La France est un grand pays d’agriculture (SAU : 53% du territoire, 1er producteur européen devant l’Allemagne) et d’agriculteurs (770 000 actifs). L’activité agricole et l’industrie agro-alimentaire associée contribuent au PIB pour 3,5%. Au-delà de ces considérations économiques, l’agriculture est reconnue pour son rôle d’aménageur et de service quasi-public de l’espace rural.
Si la France tient son rang mondial depuis de nombreuses années, l’agriculture est actuellement en mutation. Une mutation assez rapide. Cette mutation est liée à des pressions qui s’exercent à différents niveaux. Au niveau mondial, s’exerce une pression des marchés qui rémunèrent mieux les céréales (blé, maïs). Au niveau national, sous la pression des migrations internes (urbanisation des campagnes), l’espace rural subit une diminution du foncier disponible. Ces deux effets, pour ne citer qu’eux, entraînent une homogénéisation des systèmes d’exploitation.
Comment se transforment les exploitations agricoles ?
- Elles ont en commun de progressivement s’agrandir. Il faut aujourd’hui 50 vaches laitières et 110 ha de céréales pour dégager un SMIC. Il en faudra bientôt plus, et ce, malgré les progrès techniques des exploitations.
- Elles ont en commun de s’uniformiser. Malgré la différence des territoires et des climats, les agriculteurs développent majoritairement la céréaliculture sous une forme résolument intensive et moderne.
Pourquoi refuser l’agrandissement à outrance des exploitations ?
L’agrandissement n’est pas à rejeter d’un seul bloc. L’agrandissement a permis une économie d’échelle et une plus forte mécanisation par le passé. Les exploitations ont acquis, par ce biais, une grande solidité économique. Cette solidité économique se traduit par une meilleure rentabilité, un accès plus facile à la propriété foncière et la possibilité de provisionner pour des investissements à long terme. C’est ce qui fait la force de l’agriculture française aujourd’hui.
Toutefois, les agrandissements ont entraîné une diminution du nombre d’agriculteurs et un abandon d’un grand nombre de terrains. Les grandes exploitations de 250 ha ne s’encombrent plus des quelques hectares les moins productifs sur des zones d’accès difficiles ou bien inondables.
De façon contre-intuitive, l’agrandissement des exploitations privilégie une exploitation intensive des « bonnes terres » et un abandon des espaces soumis à des handicaps. Ces espaces laissés à l’abandon se sont enfrichés pour laisser place à la forêt ou l’urbanisation. On a perdu des terres agricoles à cette occasion. La tendance à l’agrandissement conduit donc à une sous-valorisation des espaces agricoles et à l’arrêt de l’entretien par les agriculteurs des paysages les plus difficiles d’accès.
Comment est compensée la surexploitation d’un coté et l’abandon des espaces de l’autre ? D’un côté, la surexploitation nécessite plus d’intrants (amendements nitratés que l’on importe en masse) tandis que, de l’autre côté, l’entretien des paysages n’est pas pris en charge par la collectivité. Le corollaire de l’agrandissement est donc environnemental. Halte aux marées vertes liées aux excès d’intrants et halte à la diminution de la biodiversité au profit des espaces urbanisés.
Pourquoi refuser l’uniformisation des exploitations ?
Pour des raisons de souveraineté alimentaire d’abord. Tout miser sur l’export fait reposer l’agriculture sur l’incertitude des marchés. Tout miser sur l’export spécialise les productions par pays. Tout miser sur l’export lie l’activité agricole aux coûts énergétiques des transports.
Par ailleurs, l’uniformisation a une autre traduction concrète en agriculture, c’est la monoculture. Or, on sait aujourd’hui que la monoculture appauvrit les sols, expose les cultures aux maladies et épuise irrésistiblement les ressources naturelles (cas de l’irrigation des monocultures de maïs dans les Landes au plus fort de l’été).
Mais le plus important, c’est que l’uniformisation conduit à préférer la céréaliculture à l’élevage. Or, on a besoin des deux. Entre l’élevage et la céréale, les conditions d’exploitation sont très inégales. Et l’agriculture française a la tentation de la céréaliculture. Il ne faudrait pas que l’élevage disparaisse totalement de certains territoires au profit de la céréale. L’élevage c’est la viande, le lait, le retour au sol sous forme de fumier, la transformation pour des produits à haute valeur ajoutée. C’est désolant de devoir revenir à des raisonnements aussi triviaux. On ne maîtrise plus la destination des sols donc il faut rappeler des évidences telles que la nécessité de conserver les élevages.
A noter qu’en matière d’élevages, la taille des exploitations doit s’agrandir pour devenir plus compétitive.
Pour envisager un programme agricole solide, il ne s’agit pas de refuser les formes d’exploitation dont les impacts sont délétères tant en terme de coût social que de coût environnemental. Il faut aussi proposer un nouveau modèle agricole. Un nouveau modèle pourrait être fondé sur le « produire local ».
Qu’est-ce que signifie « produire local » ?
Dans sa forme la plus simple, « produire local », signifie restructurer la filière agricole en privilégiant les circuits courts d’exploitation.
- Pour l’agriculteur : Plus on a un circuit court, plus on réduit les intermédiaires de vente entre le producteur et le consommateur. Cela se traduit de façon mécanique par une diminution des marges prises par les intermédiaires et une augmentation de la rémunération des agriculteurs.
- Pour l’environnement : Plus un circuit est court, plus le trajet effectué par les marchandises entre leur lieu de production et leur lieu de vente est réduit et moins nombreuses sont les émissions de carbone. Concernant les intrants, ça marche aussi : les nitrates seront épandus sur leur lieu de production. Cela évite la concentration de l’azote sur certaines aires.
- Pour le consommateur : C’est voir dans son assiette ce qui a été produit dans son environnement immédiat. C’est rencontrer le producteur sur les marchés et s’intéresser aux questions de saison. C’est connaître en temps réel les problèmes des exploitants et supporter, au besoin et financièrement, les aléas qui pèsent sur les agriculteurs.
Quelles formes peuvent prendre le « produire local » ?
On peut brosser un tableau grossier des territoires ruraux si la filière agricole se structure autour du principe du »produire local » :
1, Tout d’abord, des formes déjà existantes et sous-valorisées deviendront majoritaires : vente du producteur au client sur des marchés de producteurs, en AMAP et dans les jardins de cueillette, paniers de produits issus de l’agriculture biologique.
2, Un autre atout de la production locale consiste à ne pas avoir de région spécialisée dans un type de culture. Toutes les filières seront présentes sur tous les territoires. En particulier, on pense à la conservation des activités liées à la filière bovine (abattoirs, laiteries, etc.), activités qui sont de grandes pourvoyeuses d’emplois.
3, Le « produire local » est un atout pour la reconquête des espaces agricoles. Grâce aux AMAP, on peut récupérer les terrains agricoles délaissés par les grandes agricultures mécanisées. Il est possible de faire travailler un agriculteur en AMAP sur un hectare en maraîchage et sur des zones supposées de refus.
4, Le supplément de rémunération lié au « produire local » permettrait de maintenir des tailles d’exploitation moyennes plutôt que de poursuivre les agrandissements. Les exploitations de taille moyenne ont l’immense avantage de pouvoir gérer leurs déchets en propre. Il faut en finir avec les plans d’épandages compliqués et les surplus de déchets organiques qui sont envoyés à l’incinération.
5, Par ailleurs, « produire local » signifie également un soutien aux agriculteurs situés sur des zones à fort handicap naturel. La France a compris que les politiques de label et de signe de qualité (AOC, label rouge, ABio, etc.) sont un atout pour les territoires soumis à handicap. Il faut maintenir ces politiques et éviter les assouplissements sur les AOC de montagne qui permettent de produire des fromages de montagne en plaine.
6, Enfin, au-delà des impacts économiques et environnementaux, le « produire local » est vecteur d’un lien social. Ce lien social permettra aux consommateurs de se réapproprier la connaissance des saisons, de son environnement et de faire des choix toujours plus éclairés en matière de consommation.
Cette politique du « produire local » est-elle compatible avec les règles de la PAC ?
Deux fois oui !
1, En premier lieu, le règlement de la PAC post-2013, qui est en train d’être débattu au Parlement européen, prévoit une part toujours plus grande au développement rural. Les subventions prévues au titre du développement rural sont une sorte de crédit à l’innovation. Elles sont accordées sur la base de projets et ne sont pas distribuées de façon systématique. Elles pourront donc être pleinement utilisées au bénéfice de la conversion des systèmes agricoles vers le « produire local ».
2, En second lieu, les règles du jeu de la distribution des aides directes sont en train de changer. La Commission européenne a proposé un mécanisme de verdissement. Par verdissement, il s’agit d’accorder des subventions aux agriculteurs conditionnées au respect d’un cahier des charges environnemental. La hausse de rémunération des agriculteurs liée au système « local » pourra supporter la diminution des rendements liée aux contraintes environnementales.
Quelles pourraient être les premières mesures en faveur du « produire local » ?
Contrairement à ce que l’on croît, la politique agricole n’est pas seulement décidée au niveau européen. Le niveau européen définit des règles communes de soutien aux agriculteurs. On en change régulièrement en tenant compte des contingences.
Le niveau national permet, quant à lui, de définir des priorités de relance et de stimulation de certains secteurs d’activité du monde agricole. Le gouvernement peut donc influer sur des aspects tels que la formation, la recherche, les crédits d’impôts, les fonds relais pour l’investissement, etc.
Les premières mesures en faveur de l’agriculture, décidables au niveau national et applicables rapidement, portent sur la formation et l’installation. Il faut former les jeunes à l’agriculture biologique et installer préférentiellement des jeunes acquis aux agricultures respectueuses de l’environnement. Ceci peut être mis en application du jour au lendemain.
